«Développement urbain : comment faire autrement ?»

Publié le par abderahman

Entretien avec N. Boutayeb, D.G des Collectivités Locales réalisé par Farida Moha En marge du forum national sur le développement urbain de Skhirat du 22 et 23 janvier .  

                                                                                                                                 Ces dernières années, la ville a fait l'objet d'une attention accrue des autorités publiques : programmes villes sans bidonvilles, programme de mise à niveau pour un budget de quelques 30 milliards de DH qui aura transformé les grandes villes en améliorant les transports, l'assainissement, l'éclairage …Les résultats sont là et certaines villes se sont transformées. Un constat pourtant partagé par tous et souligné par M. Hassar dans son discours de clôture : ces programmes connaissent des limites et la ville reste «un problème» qui est au centre des grands défis du Maroc comme le souligne le rapport «Manifeste pour la ville». Espace de vie de prés de 60 % de marocains, fer de lance de l'économie marocaine la ville est toujours au cœur de toutes les fragilités et les tensions sociales avec notamment la pression du chômage des jeunes. Comment dés lors passer de la logique du plus à la logique du mieux et du développement durable ?                                                                                                                                                                                                                     le rapport décline une ambition : «faire évoluer les fondamentaux de l'action publique en direction de la ville en s'appuyant sur le développement des initiatives locales d'une part et sur un dispositif renouvelé qui conforte les logiques émergentes de la conduite des politiques publiques et de la gouvernance urbaine d'autre part». Si le niveau local est nécessaire, incontournable, la stratégie ne sera cependant efficace qu'à la condition d'être impulsée encadrée et accompagnée par le niveau national. Tous les intervenants, experts et praticiens étrangers ou nationaux ont mis en avant cette idée avec force. Au niveau législatif, une inflexion a été apportée souligne M. Hassar par la modification de la charte communale qui dit il donne plus de pouvoir aux élus et par la création d'une série d'outils de partenariats comme l'appel à projets, la création des sociétés d'économie mixte, l'accompagnement de l'Etat à travers différents plans comme en témoignent celui d'assainissement liquide, celui d'assainissement solide, ainsi que celui de transport de la ville de Casablanca. Dans ces efforts de convergence, des leviers auront cependant manqué : l'absence du privé, l'absence d'un conseil supérieur de l'aménagement du territoire qui aurait pour rôle de piloter les initiatives et de fédérer les partenariats s'est également fait sentir pour engager un véritable «processus de modernisation de l'action publique, de ses référentiels et de ses modes de faire» Un thème qui aura fait l'objet d'un atelier «quel rôle de l'Etat en matière de développement urbain» les autres ateliers ayant été consacrés à «quel développement durable pour les villes marocaines», «quel défi pour la métropole nationale dans le contexte de la mondialisation» et «quelles stratégies locales pour la convergence des politiques publiques ?» Autant de thèmes abordés en filigrane dans l'entretien avec le directeur des collectivités locales Mr Boutayeb qui présente la stratégie nationale du développement urbain.                                                                                                                                                                                   LE MATIN : Vous avez décliné au forum national sur le développement urbain qui s'est tenu le 22 et 23 Janvier à Skhirat, la Stratégie nationale pour le développement urbain la SNDU élaborée par la DGCL en partenariat avec le MHUAE et avec l'appui de la Banque mondiale et présentée comme étant une des priorités du gouvernement .Quels sont les fondements de cette stratégie ?

                                                                                                                  NOUREDDINE BOUTAYEB : Il faut rappeler le cadrage général : Mr Hjira , ministre de l'habitat ,de l'urbanisme et de l'aménagement de l'espace l'a souligné dans son intervention en rappelant les orientations de Sa Majesté dans son discours historique du 12 Décembre 2006 à Agadir lors de la première rencontre des collectivités locales et dans le discours du Trône du 30 juillet 2007 ,où il s'agit de favoriser « le développement urbain dans le cadre d'une politique cohérente de la ville.                                                                                                                                    LE MATIN :Au-delà des mots que signifie « la ville enjeu central de la société marocaine actuelle ? »                                                                                                                                                                                                   NOURDDINE BOUTAYEB :Tout d'abord que la société marocaine sera essentiellement urbaine .L'évolution de la population urbaine dans les prochaines années montre l'augmentation continue de la population urbaine jusque vers les années 2060 qui constitueraient alors les 3/4 de la population totale.

                                                                                                                                   Le deuxième élément à prendre en compte, c'est que les villes bien gouvernées peuvent être des moteurs de la croissance économique du pays . Les villes qui sont des systèmes complexes représentent plus des ¾ du PIB national, elles sont les principales sources des revenus fiscaux de l'état, ce sont des lieux d'espoir pour une intégration des ruraux, il faut rappeler que plus d'un million ont rejoint les villes au cours de la décennie 1994-2004.Il faut donc anticiper sur comment recevoir ces populations en assurant les services de santé , d'éducation ,d'emploi..                                                                                                                               LE MATIN : Concernant l'emploi, les villes concentrent déjà des tensions sociales ? Plus de 3 millions d'urbains vivent au dessous du seuil de pauvreté ou en situation de vulnérabilité . Durant les 15 prochaines années, les villes sont appelées à créer annuellement plus de 250 000 emplois . Actuellement, plus d'un million d'actifs urbains sont en chômage et si rien n'est fait, les villes pourraient devenir un lieu de concentration des risques sociaux mais aussi de risques environnementaux .En 2005, plus de 95% soit 8 millions de tonnes par an de déchets solides ne sont pas traitées, plus de 90% de rejets liquides soit 600 millions de m3 ne sont pas traités . Le plan national d'assainissement des déchets ménagers a commencé a apporter des solutions .Il y a aussi le risques de l'habitat anarchique soit plus de 30% de constructions réalisées annuellement sont sur des terrains agricoles périphériques .                                                                                                                                                                                                                     LE MATIN   :  Vous avez défini à travers la réalité actuelle, les enjeux du développement urbain, quelles sont les actions sur la ville ?                                                                                                                                   NOURDDINE BOUTAYEB : Il s'agit de répondre aux besoins quotidiens de la population en termes de quantité et de qualité car les citoyens deviennent de plus en plus exigeants et donc de travailler simultanément et en interaction sur plusieurs ressorts économiques sociaux infrastructures formation, sécurité. Il faut également positionner les villes du Royaume dans la concurrence internationale .Pour cela il faut appeler à un changement de perspectives, à une prise de conscience, à un engagement dans la voie d'un développement durable et surtout de faire évoluer les fondamentaux de l'action publique en direction de la ville.                                                                                                                                                                                    LE MATIN :Dans quel sens ?                                                                                                                                                                                                  NOURDDINE BOUTAYEB :On constate la prédominance de logiques dominantes dans l'action publiques urbaines .Pour certains ministères on assiste à un rattrapage , une réparation au travers des programmes de mise à niveau , de redressement .Pour d'autres , il faut répondre aux demandes locales à travers une déconcentration qui reste verticale et qui n'affiche pas une forte transversalité des politiques publiques .Pour les collectivités locales , celles-ci seront le plus attendus en matière de développement humain qui devra être fait en synergie avec les acteurs locaux .Il manque aujourd'hui , il nous faut le constater , de la visibilité , de la vision de l'anticipation .A coté de cela , il y a aussi des logiques émergentes comme le lancement d'opérations de développement urbain à grande échelle comme Casa Anfa , le projet Bouregreg comme la création de structures dédiées d'aménagement des sociétés de développement locales qui peuvent apporter des réponses plus rapides .Il y a aussi des propositions d'une législation pour un urbanisme opérationnel , des politiques sectorielles qui se territorialisent en évitant la complexité urbaine , des démarches expérimentales de développement urbain autour de principes de territorialité , de contractualisation comme ce qui a été fait à Settat et à El Jadida .la stratégie des actions publiques urbaines compte justement s'appuyer sur le développement des initiatives locale et sur cette dynamique émergente pour renouveler le cadre de l'action publique urbaine .                                                                                                                                  LE MATIN : Les expériences de Settat et El Jadida telles qu'elles nous ont été présentées mettent l'accent sur la synergie entre l'État et les acteurs locaux devenus incontournables ?                                                                                                                    NOURDDINE BOUTAYEB :Il y a deux convictions clefs :la réponse aux défis urbains passe par la construction de démarches stratégiques partagées au niveau local , les expériences que vous avez rappelé montre que cela est possible pour peu que l'on mobilise les acteurs . Ces démarches ne seront cependant crédibles et efficaces que si elles sont impulsées encadrées accompagnées par le niveau national . Cette interaction entre le local et le national est indispensable et produit des itérations dans les deux sens local- national et national- local. En fait il y a un pilier central et trois volets d'accompagnement . On propose de développer des démarches de stratégie locales partagées par l'ensemble des acteurs locaux , privé , élus , universités ..Les villes seront différenciées selon leur importance ; Il y a déjà une démarche en cours qui concernent l'ensemble des communes rurales et des petites villes chef lieu rural pour pouvoir dans la même philosophie mais avec une approche différenciée développer les moyennes grandes villes comme Tanger, Fès Marrakech, Oujda et les métropoles comme Rabat, Casablanca. Il faut mettre en place des dispositifs d'impulsion et de pilotage aux différents niveaux, organiser les contributions nationales au développement humain et élaborer un cadre de référence national.                                                                                                                                LE MATIN : Vous avez parlé des trois volets d'accompagnement, quels sont-ils ?                                                                                                                                  NOURDDINE BOUTAYEB :Le premier volet, c'est la mise en place des dispositifs d'impulsion et de pilotage . Il faudrait pour cela renforcer la coordination interministérielle pour que les départements ministériels pensent la ville comme un champ d'action et de synergie, organiser l'interface local, central c'est là toute la problématique de la déconcentration avec la place du Wali et du Gouverneur dans cette interaction et enfin la mobilisation capitaliser de l'expertise et le développement du savoir –faire . Le second volet est relatif aux contributions nationales , je pense à l'élaboration des programmes nationaux des villes , au lancement d'appels à projets de la part des différents ministères pour que les villes puissent tirer profit , et à la possibilité de créer des contreparties mutualisées et déléguées aux autorités locales . Le troisième volet d'accompagnement c'est l'élaboration d'un cadre de référence national du développement urbain durable ,il y a le SNAT qui existe déjà ,il faudra ajouter un volet urbain pour voir où localiser la croissance et comment et sur quoi positionner les villes. Reste la question de la coordination des réformes en cours : amendemant de la charte communale, loi sur les finances locales, et d'autres réformes, sans mettre comme l'a souligné Mr Hjira un préalable législatif avant de démarrer . On impulse, on s'adapte et on communique autour de ce pari urbain qui est le développement urbain du Maroc.                                                                                                                               LE MATIN :Au cours de la table ronde animée par Mohamed Souafi, ex-directeur de l'aménagement du territoire, il y a eu des réactions sur différentes questions de fond, comme celle des 4 F, financement, fiscalité, foncier, formation . Comment avez-vous réagi ?                                                                                                                  NOURDDINE BOUTAYEB : Nous étions très attentifs aux réactions suscitées par ce travail collectif de l'équipe du ministère de l'intérieur .On a évoqué les questions de péréquations, de financement, de démarche participative des citoyens.. Nous avons la responsabilité de répartir les montants de la TV A aux collectivités locales . Il y a un système de péréquation qui est fondé sur la capacité de chaque commune à générer des recettes, on en donne un peu plus si on le faisait à l'habitant, aux communes les plus pauvres par rapport aux communes les plus riches. Casablanca se plaint toujours de en pas recevoir autant par tête d'habitant que les petites communes. A coté de cela il y a une sorte de mix qui fait que pour les communes qui ont des projets intéressants, nous sommes prêts à les accompagner et à trouver les moyens financiers . C'est ainsi que pour le programme de mise à niveau urbaine, nous avons dit à un certain nombre de communes, que nous étions prêts à les accompagner au niveau des infrastructures de la ville , voieries , éclairages, espaces verts et équipements collectifs .pour cela il fallait qu'elles puissent développer un programme de développement grâce à leurs moyens propres et aux prêts qu'elles pourraient faire au niveau du FEC et grâce à la coopération qu'elles pourraient développer avec les autres acteurs sectoriels qui pourraient aussi apporter leur contribution.                                                                                                                                On a commencé avec les grandes villes qui avaient des projets importants , Bouregreg , Tanger Med ,Tanger Tétouan Fnideq ..Cela a crée une émulation et d'autres petites et moyennes villes ont suivi .Nous les avons même accompagnés pour mettre en place des programmes de mise à niveau. C'est ainsi que plus de 30 milliards de Dh qui ont été engagés par tous les partenaires et pour toutes les localités petiotes et grandes. Tout cela pour dire, que voilà un exemple à méditer qui nous monter que l'on peut aller vers la péréquation.Les acteurs locaux peuvent penser et rêver à ce que pourraient devenir dans vingt ou trente ans, leur agglomération au sens large du terme avec toutes les communes et bourgs qui vivent en connexion . Comment pourraient elles se positionner, villes culturelles, villes touristiques, villes industrielles ou les deux ? Une fois identifiée l'identité de cet espace urbain, on essaie alors de voir quel contenu donner aux projets.                                                                                                                                                                                                                                                     LE MATIN :On a beaucoup parlé de formation des élus, du déficit de compétences des acteurs locaux . Un mot sur cette question importante ?                                                                                                                          NORDDINE BOUTAYEB : La décision appartient aux acteurs locaux mais la compétence on peut aller la chercher là où elle se trouve : à l'agence urbaine, dans les bureaux d'études, à l'université. Les exemples traités au cours de la journée de Settat et d'El Jadida , tous le monde y a contribué :universités , inspection régionales d'aménagement du territoire , les agences urbaines ,les CRI ,le secteur privé , les associations ..C'est cela aussi qui donne du sens à la démarche participative qui permet de faire un diagnostic, d'établir une hiérarchie de priorités, de faire de la restitution et d'avoir l'avis des habitants.                                                                                                                                                                                                                                                   LE MATIN : M. Sekrouhi, directeur de l'Agence urbaine de Casablanca et M. Doumou, président de la région du Tensift ont évoqué le problème de financement, sans doute le plus déterminant parmi les 4F, foncier, fiscalité, formation et financement. Les chiffres annoncés par Mr. Doumou, à savoir que seuls 10%des recettes TVA vont aux communes, sont insuffisants au vu des besoins de développement ?                                                                                                                        NOURDDINE BOUTAYEB: Il ne faut pas toujours rester dans la logique du préalable .Quand on arrive avec un projet intéressant, les instruments d'urbanisme opérationnels se mettent en place .Cette stratégie de développement urbain n'est qu'un volet de ce qui est en train de se faire en matière de renforcement de la décentralisation et de la déconcentration .Le financement est important oui , mais ce n'est le seul , il faut penser au renforcement des capacités des élus qui ont la responsabilité des choix stratégiques , des acteurs locaux qui doivent être formés qui doivent avoir des outils .Avec les instruments d'aujourd'hui et la fiscalité , il y a un potentiel très important qui existe .Il faut aller chercher ce potentiel pour l'utiliser dans cette politique de développement urbain et pour faire de la ville, une ville sure inclusive .A travers les logiques d'appel à projets ,il y aura une émulation entre les villes , il faudrait également du souffle, de la continuité et de la persévérance car ce sont là des opérations de longue haleine .                                                                                                                                                  LE MATIN : Quelles sont les dérives que vous craignez le plus en matière de développement urbain ?                                                                                                                                                                                       NOURDDINE BOUTAYEB :Si on parle où localiser la croissance , je ne peux pas la concevoir en dehors de la problématique de l'eau .Je ne peux pas croire que l'on va continuer à bétonner le littoral et à ramener toutes les villes sur ce littoral en grossissant celles qui existent déjà . Pour moi, hydraulicien c'est un non sens parce que l'on utilise l'eau une seule fois .Il faut par une volonté volontariste faire un développement plus équilibré vers l'intérieur. Nous avons mis en place un cadre de réflexion pour définir quel développement urbain durable il faudrait, mais aussi comment créer des moteurs de croissance avec quelle coopération internationale .En matière de gouvernance , comment nous département sectoriel allons essayer de mieux travailler pour que les programmes ne soient pas additifs et que un plus un fasse un peu plus que deux , de manière à dégager une plus value supplémentaire et comment en partie interface éviter toutes les déperditions.

Source:http://www.maghress.com/fr/lematin/106560

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W
<br /> bon courage et bonne continuation cher ami.<br /> <br /> <br />
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